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L'etincelle des chômeurs

Liberation du 2/02/2014 Comment un sondage orienté s'en prend aux chômeurs

3 Février 2014, 17:36pm

Publié par Vladimir Ilich

DÉCRYPTAGE

Dans une enquête BVA publiée ce week-end, l'opinion française semble favorable aux mesures drastiques de réduction des droits des chômeurs prônées par la CGPME.

Quatre milliards d’euros de déficit, près de 20 milliards de dette cumulée… Le régime d’assurance chômage en France n’est pas au mieux. Le résultat de la crise économique, qui conduit aujourd’hui plus de 3 millions de personnes à être privées d’emploi (5 millions en comptant les chômeurs ayant exercé une activité réduite). La conséquence de la crise, vraiment ? Et si finalement, les chômeurs ne l’étaient pas aussi, pour une bonne part, à cause de leur «paresse» ? Autrement dit, incités par un régime d’assurance chômage trop généreux, à préférer l’oisiveté plutôt que le retour à l’emploi ? Cette petite musique de fond, distillée depuis plusieurs années, notamment depuis l’ère Sarkozy sous le label «assistanat», revient en force au moment où se renégocie, depuis deux semaines, la convention Unedic. Et pour l’alimenter, rien de mieux qu’un sondage d’opinion, aux questions quelque peu orientées. A cet égard, l’enquête BVA pour I-Télé et le Parisien publiée samedi est un modèle du genre. Et pour cause, les questions posées sont directement inspirées par l’organisation patronale CGPME. Décryptage.

L’assurance-chômage, un sujet prioritaire ou important ?

En préambule des mesures testées, on découvre que «revoir l’indemnisation des chômeurs est une réforme» jugée «prioritaire» par 34% des personnes interrogées, «importante mais pas prioritaire» pour la majorité (48%), et «secondaire» par 18% des autres. Au final, nous dit BVA : «Sans être leur priorité absolue, la réforme de l’indemnisation chômage constitue un enjeu important pour huit Français sur dix (82%)». On pourrait également prendre les résultats dans l’autre sens et en conclure que «tout en étant considérée comme importante, cette réforme n’est pas jugée prioritaire par les deux tiers des Français (64%)». Même parmi les sympathisants de droite, le caractère «prioritaire» de la réforme n’est pas majoritaire (44%). Le sondage perdait néanmoins de son intérêt. Epousons donc la conclusion de BVA sur l’importance de la réforme, et donc de cette enquête.

Des indemnités plafonnées ?

Première «mesure choc d’économie» suggérée, comme les autres, par la CGPME : «Ouvrir une possibilité de plafonner volontairement l’indemnisation (qui peut aujourd’hui atteindre plus de 6 000 euros mensuels) en échange d’une baisse de cotisations». La question de cette indemnité plafond de 6 950 euros brut par mois (en 2012) n’est pas nouvelle dans le débat public. Depuis plusieurs années, d’aucuns suggèrent que ce plafond est trop élevé. Rappelons tout d’abord qu’il constitue, au mieux, 57% de l’ancien salaire, et surtout 0,06% des personnes indemnisées en France (1 400 personnes)… Autre problème : cette mesure serait tout sauf une économie. En effet, d’une manière générale, les cadres utilisent 18% du montant total des indemnités chômage, mais apportent 30% des cotisations… Ils contribuent en effet pour les autres catégories, et notamment pour les employés, qui consomment 30% des allocations, alors qu’ils n’apportent que 21% des ressources. Bref, répondre «oui» à cette question aurait plutôt comme conséquence de plomber les comptes de l’Unedic, et non pas de réaliser une «économie». L’explication, évidemment, n’est pas énoncée avant de poser la question.

Radier automatiquement après deux offres refusées ?

Seconde mesure d’économie testée, pour laquelle 64% des Français seraient «favorables» : «Radier automatiquement les chômeurs qui refusent plus de deux offres raisonnables d’emploi». Problème pour cette question : cette disposition est déjà en vigueur… Ainsi, le «refus à deux reprises sans motif légitime d’une offre raisonnable d’emploi» est un motif de radiation de Pôle Emploi. Seule différence dans la question : le caractère «automatique» de la radiation. Sauf que juger du caractère «raisonnable» de l’offre d’emploi n’a, par définition, rien d’automatique. En effet, il découle, selon le code du travail, de l’adéquation de l’offre avec, en autres, la formation, les qualifications, les expériences professionnelles, la situation personnelle et familiale du demandeur d’emploi, la zone géographique ou encore le salaire attendu. Rendre automatique la radiation nécessiterait donc de revoir la définition du caractère «raisonnable» de l’offre.

Exclure les techniciens du régime des intermittents ?

Troisième suggestion : «Exclure du régime spécifique des intermittents les techniciens du spectacle, qui pourraient être soumis au droit commun», qui séduit 61% des personnes interrogées. Le régime des intermittents, forme de soutien à la création artistique, répond à la discontinuité de l’emploi dans le secteur. Et les techniciens ne subissent pas moins cette discontinuité que les artistes eux-mêmes. Dès lors, les exclure du système reviendrait à rendre totalement bancale l’économie du spectacle résultant du régime des intermittents. D’une manière générale, ce sont évidemment les intermittents, mais aussi les CDD et l’intérim, soit l’ensemble des contrats précaires, qui «coûtent plus qu’ils ne rapportent». C’est le principe même du système assurantiel, qui est de mutualiser les risques. Et ceux qui connaissent le plus grand risque d’entrer à Pôle Emploi sont bien sûr les contrats précaires. En décembre 2013, les fins de CDD et de missions intérim représentaient ainsi 30% des motifs d’inscription à Pôle Emploi, contre 2,6% pour les licenciés économiques. Enfin, rappelait la Cour des comptes dans un rapport en septembre dernier, c’est avant tout la situation des CDI et CDD (autres qu’intermittents) qui plombe les comptes de l’Unedic depuis la crise de 2008.

Des allocs dégressives ?

Quatrième piste testée, qui ne séduit néanmoins plus que 59% des Français : «Rendre les allocations dégressives à partir d’un an». De fait, selon l’Unedic, la durée moyenne d’indemnisation est déjà inférieure à un an, puisqu’elle se situait, en 2012, à 10 mois. A noter, par ailleurs, que la quasi-totalité des personnes indemnisées (95%) touchent moins de 2 000 euros par mois et 50% moins de 1 000 euros. L’allocation moyenne versée n’est en réalité que de 1 108 euros brut (en décembre 2012), soit un niveau, en net, proche du seuil de pauvreté (977 euros en 2011). Une donnée qu’il eut été utile de livrer en préambule de la question, comme l’a été le montant de «6 000 euros» pour la question sur les cadres. Mais qui, du coup, n’aurait peut-être pas donné la même réponse. Ou comment, comme pour tout sondage, la manipulation réside dans l’art de bien rédiger les questions… pour s’assurer des bonnes réponses.